Notre Héritage Vivant : Le Manifeste des Rescapés de la Shoah

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C’est en 2002, lors de la cérémonie de clôture d’une conférence internationale à Yad Vashem sur L’après-Shoah : Les rescapés, un héritage éthique face aux défis de l’humanité, que Le Manifeste des Rescapés de la Shoah a été lue pour la première fois. C’est feu Zvi Gil, rescapé de la Shoah, qui en fut le porteur, dans la Vallée des communautés de Yad Vashem, le 11 avril.


En 2025, à l’occasion du 80ᵉ anniversaire de la fin de la Shoah, la présidence israélienne de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) a lancé une campagne mondiale afin de porter haut les principes de cette Déclaration.


Toutes les personnes de conscience sont invitées à honorer la mémoire des victimes, des rescapés et des Justes, en s’engageant autour de ce message.

 

L’ère des témoins vivants touche à sa fin. Bientôt, il ne restera plus personne pour temoigner: « J’y étais. J’ai vu. Je me souviens. » Il demeurera une abondante documentation – témoignages, photographies, films, recherches – mais une page se tournera. 

Ce sera à l’humanité de prendre le relais. Le souvenir de la Shoah, inscrit à jamais dans l’âme et le cœur des rescapés, doit devenir un héritage actif et universel, une mission morale transmise aux générations futures. 

« Au printemps 1945, lorsque le tumulte de la guerre s’est tu, nous, les rescapés, sommes sortis des camps, des forêts, des marches de la mort. Nous étions brisés, sans foyer, sans famille, sans repères. En nous, une question intime : allions-nous être capables de recommencer à vivre ? Aimer ? Travailler ? Refaire un monde ? » 

Mais nous n’avons pas cédé à la haine ni à la vengeance. C’est là notre témoignage : malgré tout, nous avons cru en l’homme. Nous avons choisi la vie. Nous avons reconstruit, fondé des familles, contribué à bâtir la société, en Israël, comme ailleurs. Pour beaucoup, rejoindre l’État d’Israël naissant fut une évidence, une réponse existentielle à la Shoah. Car la mémoire des six millions d’êtres assassinés et les leçons tirées de leur perte fondent aussi les piliers de cet État. La Shoah a enseigné au monde que cela ne peut jamais recommencer. 

Au fil des décennies, nous avons pris la responsabilité d’explorer les interrogations morales les plus profondes et à ne plus esquiver les questions les plus douloureuses . Pourquoi une telle haine ? Comment une société cultivée a-t-elle pu engendrer des bourreaux conscients de leurs actes ? Chacun de nous porte une histoire, une voix singulière. Mais un désir nous unit : transmettre, raconter ce que nous avons vécu et compris, avant de quitter ce monde qui nous a tant éprouvés. 

C’est ici, depuis le Mont du Souvenir à Yad Vashem, que nous élevons nos voix. Dans la tradition juive, le souvenir n’est pas passif : il engage. Il appelle à une responsabilité éthique, à une action morale. 

Aujourd’hui, nous passons le flambeau aux générations suivantes. Nous leur confions ce message : 
Que le souvenir devienne moteur d’un monde plus juste. 

« Tu ne tueras point » : ce commandement fondamental a été transmis à l’humanité sur le mont Sinaï. La mémoire de la Shoah exige de chacun qu’il le respecte. La vie humaine est sacrée – nul n’a le droit de la voler à autrui. 

Nous qui avons été humiliés, déshumanisés, nous nous faisons la voix de ceux qui n’ont pas survécu. Nous appelons le monde à se rassembler autour des principes des droits humains et de l’égalité, sans aucune forme de discrimination – raciale, religieuse, sexuelle ou sociale. 

Les dictatures, les oppressions politiques ou religieuses, les inégalités qui piétinent la dignité doivent être dénoncées avec la plus grande fermeté. Le dialogue doit prévaloir sur la violence, au Moyen-Orient comme partout ailleurs. 

L’antisémitisme, sous toutes ses formes, menace non seulement les Juifs mais l’humanité tout entière. Aujourd’hui, il se manifeste aussi sous des traits nouveaux, visant à la fois les Juifs, Israël et le sionisme. La négation et la banalisation de la Shoah cherchent à esquiver ses leçons essentielles. 

Nous, rescapés, appelons le monde à lutter sans relâche contre ces dangers. La mémoire de la Shoah, avec toute sa douleur et sa noirceur, doit éclairer notre engagement pour l’humanité. 

Car malgré tout, nous avons gardé foi en l’homme. 
Nous avons tiré de cette horreur un message d’espérance et de responsabilité. 


La Shoah est devenue la référence du mal absolu. Elle constitue un héritage universel. Ses leçons doivent servir à promouvoir les droits humains, la démocratie, la tolérance, et à combattre le racisme et les idéologies totalitaires. 

Depuis le Mont du Souvenir à Jérusalem, résonne l’enseignement de Rabbi Hillel : 
« Ce qui t’est odieux, ne le fais pas à autrui. » 

Tel est notre appel. Tel est l’héritage vivant que nous laissons à l’humanité.